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Projet d’aide à la presse: tiède accueil de quatre réds chefs

Publié le 30.4.2020 Par Pierre Ruetschi, journaliste, directeur du Club suisse de la presse

Les rédacteurs en chef de La Liberté, du Nouvelliste, d’ARCInfo et du Quotidien Jurassien réunis par le Club suisse de la presse réagissent au projet présenté jeudi par le conseil fédéral. Enthousiasme modéré. Voir leur débat en vidéo ici

Réunis ce 30 avril pour un débat en ligne par le Club suisse de la presse, quatre rédacteurs en chef commentent le paquet d’aide à la presse présenté la veille par le Conseil fédéral. L’accueil est tiède, voire carrément frais. L’aide proposée de 70 millions n’est pas suffisante, mal orientée et pour certains titres, ignorent les besoins réels liés à leur fonctionnement. Il ne tiendrait ainsi pas compte du fait qu’une grande partie des tirages des journaux régionaux ne sont pas distribués par poste mais par messageries privées. Ce qui fait dire notamment au patron du Nouvelliste que “cette aide ne sous sert pas à grand-chose” tandis que Serge Gumy (La Liberté) insiste sur la faiblesse des montants proposés soulignant que les éditeurs réclamaient que l’aide indirecte de 30 millions soit portée à 120 millions.  Les 30 millions pour l’aide aux numériques sont en revanche favorablement accueillis

 Pour rappel, le Conseil fédéral travaille depuis plusieurs mois sur une nouvelle proposition d’aide à la presse suite à l’abandon de son projet de nouvelle loi sur les médias électroniques quasi unanimement rejetées en consultation. Ce paquet est présenté plus tôt que prévu au parlement qui devrait le traiter dans les mois à venir. Ce projet ressemble mais n’est pas à confondre avec le projet d’aide d’urgence avancé par Simonetta Sommaruga voici quelque deux semaines, écarté par vote du Conseil fédéral, puis repêché la semaine dernière par les commissions des deux chambres. Le projet d’urgence sera lui présenté au parlement lors de la session du 5 au 8 mai. 

Mais revenons au projet non urgent présenté hier le gouvernement. Le paquet s’élève à 70 millions et se décompose en substance de la façon suivante: 

  • Une augmentation de 20 millions (30 à 50) de l’aide indirecte sous forme de soutien à la distribution postale des journaux. Cette aide réservée aujourd’hui aux journaux d’un tirage inférieur à 40’000 exemplaires s’étend à l’ensemble des titres suisses payants. 
  • Une aise de 30 millions en faveur de médias numériques payants qu’ils s’agisse de “pure players” ou de titres print et digitaux.  
  • Enfin, le Conseil fédéral veut aussi soutenir des projets et activités bénéficiant à l’ensemble des médias qu’il s’agisse d’une plate-forme électronique ouverte à tous ou de l’agence de presse Keystone-ATS, servant l’ensemble des médias,  qui en dépit de l’aide déjà engagée se trouve en difficulté. Une vingtaine de millions sont prévus à cet effet. 

Rémy Chételat, rédacteur en chef du Quotidien jurassien, voit encore d’autres travers que ses confrères au paquet d’aide. Le fait que l’aide indirecte (poste) serait désormais ouverte à l’ensemble des titres payants, y compris ceux à très grands tirages des deux grands groupes de presse alémaniques TX Group (Tamedia) et Ringier lui inspirent cette image: “Les grands éditeurs s’invitent au banquet. Et quand deux liens s’occupent d’un buffle, il ne reste pas grand-chose pour les petits”. Eric Lecluyse qui dirige la rédaction d’ARCInfo estime que ce paquet ne sera pas suffisant pour “tenir”. Il estime que le secteur ne survivra pas sans la création d’un troisième pilier de financement (public ou/et privé) aux côtés de la publicité, en régression brutale, et du revenu des ventes du journal. Tous se montrent favorables au paquet (30 millions)  destiné au soutien des activités numériques, conscient qu’ils ont un retard à rattraper sur les titres des grands groupes, tout en refusant l’idée qu’ils soient partis tardivement sur internet. Seul Le Quotidien Jurassien reconnaît que le web n’est pas sa priorité actuellement. Restera toutefois à déterminer quels montants cela représentera pour chacune des rédactions en ligne, insiste Vincent Fragnière.

Après l’annonce du Conseil fédéral se repose l’éternelle question de l’aide directe à la presse, une option jugée longtemps tabou par les éditeurs, comme le souligne Rémy Chételat. Le Jurassien estime que la distinction entre aide directe et indirecte, la première supposant une perte d’indépendance, n’a plus lieu d’être: “qu’on m’explique ce qui fait la différence entre une aide financière à la rédaction par exemple, une aide à la distribution postale des journaux ou une aide au portage par messagerie. Dans les deux cas, l’argent va directement à l’éditeur”. Autant Serge Gumy (La Liberté) que Vincent Fragnière (Le Nouvelliste) sont en faveur d’une aide indirecte qui permet, selon eux, de mieux garantir l’indépendance. “La préservation de notre indépendance ’est le point absolument déterminant et prioritaire”, affirment-ils d’une même voix. Par ailleurs, les patrons de presse appellent les cantons et autorités locales à entrer dans le jeu du financement mais toujours sans ingérence. 

Ils n’apprécient pas plus l’intrusion des syndicats sur leurs terres. Ainsi Serge Gumy, tout en précisant que les licenciements sont à proscrire dans toute la mesure du possible, rejette l’exigence du syndicat de la communication Syndicom réclamant que le paquet fédéral soit assorti d’une interdiction de licenciement. “Ce serait une atteinte à ma liberté entrepreneuriale. On ne peut pas s’engager ainsi sur le long terme”.

Lui et ses confrères sont en revanche beaucoup plus compréhensifs à l’égard d’une autre exigence formulée par Syndicom, l’interdiction pour les groupes bénéficiant de l’aide de distribuer des dividendes aux actionnaires. Vincent Fragnière et Eric Lecluyse, qui partagent un même éditeur, ESH Médias, avancent en terrain miné. Le premier s’affirme clairement contre la distribution de dividendes. Le second, prudent, pense que “c’est plutôt juste” de ne pas en donner. Quant à Rémy Chételat, il n’hésite pas. C’est non aux dividendes. Mais rappelons que la décision appartiendra aux éditeurs et à leurs conseils. 

Pierre Ruetschi, journaliste, directeur du Club suisse de la presse

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