Le Club suisse de la presse – Geneva Press Club a pour mission d’accueillir et d’aider les journalistes de passage à Genève et de favoriser les échanges entre les milieux suisses et internationaux de l’économie, de la politique, de la culture et des sciences d’une part, et de la presse suisse et étrangère installée en suisse romande et en France voisine d’autre part.

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« Editeurs et journalistes culturels: quelles relations ? Quels défis ? Quels combats ? »

« Editeurs et journalistes culturels: quelles relations ? Quels défis ? Quels combats ? »

Editeurs et journalistes culturels, je t’aime moi non plus ?

Journalistes culturels et maisons d’édition entretiennent une relation faite de passion partagée pour le livre, de collaborations fructueuses et d’interdépendance parfois sources de tensions et d’attentes déçues. Quels sont les enjeux de la relation entre les éditeurs et les critiques littéraires ? Quelle est l’influence et le rôle des critiques littéraires dans la communication faites autour des livres ? Ces thèmes ont été abordés lors de la table ronde, produite et animée par Isabelle Falconnier, directrice du Club suisse de la presse, qui s’est tenue le 1er septembre dans le cadre du Livre sur les quais à Morges.

Par Luisa Ballin

Fanny Meyer, directrice du Livre sur les quais, a tout d’abord rappelé l’importance de ce lieu de dialogue et d’échanges en Suisse romande, organisé chaque année au bord du Lac Léman. En ouvrant la table-ronde, Isabelle Falconnier, directrice du Club suisse de la presse, journaliste et critique littéraire, a souligné l’importance de valoriser le monde de la presse : « J’ai vu le métier de journaliste évoluer, être fragilisé, devenir précaire et même être critiqué. Le lien entre, d’un côté les journalistes littéraires, écrivains, créateurs et de l’autre les éditeurs, est essentiel. Ils portent tous les livres et tous sont soumis à des pressions pour survivre ».

Carine Bachmann, directrice de l’Office fédéral de la Culture, a déclaré : « Cette table-ronde soulève des questions essentielles pour la vie culturelle suisse. La Confédération et l’Office de la Culture sont convaincus que seule une opinion publique informée peut donner naissance à une scène culturelle vivante. La culture doit être l’objet d’échanges et de débats publics. La création a besoin de ces échanges dans l’espace public qui la font exister dans la société et qui lui donnent son sens ».  

Marco Baschera, professeur émérite à l’Université de Zurich, membre du comité de ch-intercultur, qui a lancé un manifeste intitulé “Le journalisme culturel doit faire partie du message culturel” a expliqué le but de « ch-intercultur, association de critique culturelle et d’information. « Elle encourage les échanges d’informations par-delà les différentes régions linguistiques. Nous mettons sur pied une plateforme culturelle nationale en ligne qui satisfasse ces objectifs ». Le journalisme culturel est dans une situation précaire. Les ressources sont réduites, les supports de publication s’amenuisent, la relève n’a plus de perspectives et fait défaut. Les principales victimes sont les arts et leur transmission. « Nous sommes convaincus que le journalisme culturel est un élément indispensable de la production culturelle qui sans retour critique est dans une impasse. L’art et la culture ne peuvent s’épanouir que dans le dialogue public, mais l’encouragement de la culture, qui prévaut actuellement, se limite au soutien des relations publiques en accompagnement de la production et de la diffusion. Il est enfin temps de réagir et d’agir. Il ne faut pas de nouvelles lois mais plutôt une nouvelle volonté et une nouvelle pratique », a ajouté l’intervenant.

Faut-il soutenir le journalisme culturel, en voie de précarisation, au même titre que les créateurs de culture ? Lisbeth Koutchoumoff, responsable des pages Livres du quotidien Le Temps, a salué « le panache de l’initiative de Marco Baschera qui questionne la place du journalisme culturel et doit être élargie au journalisme en général. Chaque livre participe au débat démocratique, il faut une aide au journalisme en général. Nous sommes à un croisement des chemins, le dialogue est devenu un enjeu de société majeur. Le livre est un outil extraordinaire, où tout en étant un lieu de création solitaire on entre en contact avec des personnes qui permettent de connaître d’autres expériences ». Qu’en est-il de la relation avec les éditeurs ? À quoi sert un critique littéraire ? « Notre travail est d’offrir une sélection de livres variés pour que le lectorat trouve un ouvrage qui lui parle, qui aide à la réflexion, qu’il soit une porte d’entrée vers d’autres sensibilité. Le Temps défend ses pages Livres. Il faut les maintenir, semaine après semaine dans l’offre journalistique générale », précise la critique littéraire. 

Qu’en est-il des éditeurs ? Caroline Couteau, directrice des éditions Zoé, estime que « le journalisme est dans la situation où nous étions il y a une trentaine d’année à l’époque où les éditeurs n’étaient pas soutenus. Résoudre la question du journalisme culturel est compliquée. Nous avons besoin des critiques littéraires. Ils sont un relais, ils portent un autre regard, une sensibilité autre que la mienne, une analyse qui m’aide à mieux comprendre un livre car j’ai un regard technique, moins littéraire qu’un journaliste ». L’éditrice genevoise note les différences entre critiques littéraires, blogueurs et libraires. « Tout est précieux. Les frustrations arrivent souvent, mais on parvient à trouver des équilibres ». Articles de journaux, émissions de radio et télévision, mentions des blogueurs et coups de cœur des libraires font vendre un livre. L’indispensable ? « Proposer de bons auteurs et de bons livres ».

Sophie Rossier, directrice des éditions Favre souligne « la relation indispensable avec les critiques littéraires. On se comprend, tout en gardant une distance et en étant indépendant. Nous sommes inquiets pour l’avenir de la presse écrite, car elle permet la réflexion, contrairement aux podcasts qui n’ont pas la même approche. Je suis aussi inquiète de la défection des jeunes par rapport à la lecture. La forme écrite est plus exigeante et plus formatrice. Pour l’envoi de livres en service de presse, il faut faire du sur mesure. Une belle critique littéraire est un vrai plaisir. La médiatisation est importante pour lancer et faire vendre un livre ».

Cécile Lecoultre, journaliste à la rubrique Culture du quotidien 24Heures, commente sa relation avec les éditeurs. « Leur passion entretien la nôtre. On peut même dire gentiment à un éditeur que l’on n’aime pas un livre. Un journaliste culturel est un relai, un passeur qui prend le temps de lire un livre, qui a d’autres références.  Il y a parfois une difficulté d’être dans l’émotion ».

Anne Pitteloud, responsable de la rubrique littéraire au quotidien Le Courrier lui fait écho. « Nous avons une bonne relation avec les éditeurs romands. Je ne me suis jamais sentie harcelée. Il faut avoir le temps de lire. Nous avons quelques pigistes et pas beaucoup de moyens et il y a les aléas du stress de la presse. Si on rencontre un auteur on parle de son livre, de ce qui fait sens. Nous ne sommes pas dans le people. Les lecteurs font la différence. La critique n’est pas forcément fun, elle n’est pas participative. Il ne faut pas être dédaigneux. Toute une génération ne lit pas la presse écrite. Beaucoup de jeunes suivent des instagrameurs ».

 Thierry Raboud, responsable de la rubrique littéraire au quotidien La Liberté ne le cache pas : « Mes rapports avec les éditeurs vont de l’embrassade à l’engueulade ! Lorsque j’ai écrit les dix raisons de ne pas lire Joël Dicker, cela n’a rien empêché ! Un regard peut déplaire. Dans le rapport de confiance réciproque avec un éditeur, il y a des hauts et des bas. Le journaliste peut choisir de ne pas parler d’un livre. On se définit aussi par ce que l’on refuse. À La Liberté, les livres peuvent trouver de la place dans tous les cahiers ».

Comment va évaluer la critique ? Le journalisme littéraire doit-il changer, s’adapter à des générations qui ont d’autres habitudes de lecture ? « L’éditeur doit éditer de bons livres et le critique littéraire doit écrire de bons articles », répond Thierry Raboud. 

Eloïse D’Ormesson, présidente des éditions EHO, est d’avis que les problématiques sont à la fois communes et différentes. « En France, si nous connaissons des difficultés nous en sommes les premiers responsables. Je suis franco-fribourgeoise, il me semble que le rapport est plus fluide en Suisse. Vous êtes plus curieux et plus libres alors qu’en France, si l’auteur n’a pas été traité par les critiques de trois grands médias, c’est compliqué. Des journaux disparaissent, la presse est menacée, mais elle résiste. Pour que les lecteurs découvrent nos livres, nous avons besoin de la grille de lecture, du regard des critiques littéraires afin d’aiguiller le lecteur. Les blogueurs sont un plus, ce n’est pas de la critique, c’est du ressenti. Une critique est plus structurée ».

Certains textes sont choisis, d’autres tombent dans l’oubli. Pourquoi un critique choisit-il de parler d’un livre ? Eloïse d’Ormesson évoque la magie de son métier. « Je publie toujours un premier roman à la rentrée. Par exemple, La Colère et l’Envie est un texte très littéraire d’une jeune autrice, Alice Renard. Ce texte a touché les critiques de L’Humanité au Figaro. Pourquoi ? Alice Renard a 21 ans, elle est la benjamine de la rentrée littéraire. Le succès d’un livre est imprévisible ».

« Le critique littéraire n’écrit n’est pas simplement j’aime ou je n’aime pas. Il est important de tenir compte du crédit symbolique de la littérature », intervient une personne dans le public. La journaliste italienne Lara Ricci lui emboîte le pas. Elle propose de porter le journalisme dans les écoles et les universités. « Les étudiants ne connaissent pas l’impact du journalisme culturel. Il faut expliquer aux jeunes les enjeux du journalisme et d’une critique littéraire. Il faudrait aussi donner un prix aux meilleurs articles écrits sur un livre, valoriser la qualité ». Une autre jeune femme dans le public regrette l’absence de libraires dans la discussion. « Ils ont une vaste culture, une ouverture vers un lectorat plus jeune ».

Lisbeth Koutchoumoff n’oublie enfin pas l’apport des attachés de presse « qui, lorsque leur travail est bien fait, permettent un immense gain de temps ». Marco Bascera conclut qu’il faut aussi tenir compte des jeunes blogueurs. « Il y en a d’excellents. Comme les critiques littéraires, ils peuvent attirer l’attention sur les livres. C’est possible de rapprocher ces mondes ».


Journalistes culturels et maisons d’édition entretiennent une relation faite de passion partagée pour le livre, de collaborations fructueuses et d’interdépendance parfois sources de tensions et d’attentes déçues. Quels sont les enjeux de la relation entre les éditeurs de littérature et les critiques littéraires ? Profite-t-elle aux auteurs et aux lecteurs de manière optimale ? Quelle est l’influence et le rôle des critiques littéraires dans la communication globale faites autour des livres? Faut-il soutenir le journalisme culturel, en voie de précarisation, au même titre que les créateurs de culture ? Cette table ronde, produite et animée par Isabelle Falconnier, directrice du Club suisse de la presse, réunit des journalistes culturels et des éditeurs et éditrices. Seront également présents la directrice de l’Office fédéral de la culture ainsi qu’un représentant de ch-intercultur.

Programme :

15h

Accueil : Fanny Meyer (directrice du Livre sur les Quais)

Introduction : Isabelle Falconnier (directrice du Club suisse de la presse)

15h10

Intervention de Carine Bachmann (directrice de l’Office fédéral de la culture): “De l’importance du journalisme culturel et de la communication culturelle en général”

15h20

Intervention de Marco Baschera (professeur émérite à l’Université de Zurich, membre du comité de ch-intercultur) au sujet du manifeste “Le journalisme culturel doit faire partie du message culture”

15h30

Trois questions à Caroline Coutau, directrice des éditions Zoé

Trois questions à Lisbeth Koutchoumoff, responsable des pages Livres, Le Temps

15h45

Table ronde avec la participation de Cécile Lecoultre (journaliste culture, 24Heures), Anne Pitteloud (responsable rubrique littéraire, Le Courrier), Thierry Raboud (responsable rubrique littéraire, La Liberté), Sophie Rossier (directrice, éditions Favre), Héloïse d’Ormesson (présidente, éditions EHO).

16h30

Q&A, débat collectif

17h

Verre de l’amitié

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