Le Club suisse de la presse – Geneva Press Club a pour mission d’accueillir et d’aider les journalistes de passage à Genève et de favoriser les échanges entre les milieux suisses et internationaux de l’économie, de la politique, de la culture et des sciences d’une part, et de la presse suisse et étrangère installée en suisse romande et en France voisine d’autre part.

Generic selectors
Exact matches only
Search in title
Search in content
Post Type Selectors

Les défis humanitaires à Gaza, entre réadaptation et déminage 

Les défis humanitaires à Gaza, entre réadaptation et déminage 

Crédit photo de couverture: © S. Hejji – HQ/HI

Le Club suisse de la presse et Handicap International ont organisé une conférence de presse avec :

Avec (de gauche à droite) Nicholas Orr, démineur, spécialiste « Explosive ordnance disposal », chef des opérations pour Handicap International à Gaza, Maria Marelli, spécialiste en physiothérapie chez Handicap International et Daniel Suda-Lang, directeur de Handicap International Suisse.


A quelques jours des 1 an du début du conflit actuel à Gaza, Handicap International souhaitait alerter les médias et la communauté internationale sur la situation actuelle dans la bande de Gaza des personnes en situation de handicap ainsi que sur l’urgence du travail indispensable en termes de déminage. Présente depuis 1997 sur le terrain de Gaza, l’ONG, basée entre autres à Genève, y emploie actuellement 70 personnes, avec le soutien d’approximativement 300 agents communautaires. Les efforts de Handicap International se concentrent à Khan Younes et dans le sud de la bande de Gaza où 1,4 million de personnes déplacées vivent dans des conditions inhumaines. Une certitude : sans un cessez-le-feu et une aide humanitaire conséquente et inclusive immédiate, le nombre de personnes en situation de handicap à Gaza va augmenter de manière significative, une blessure ou une fracture mal soignée pouvant entraîner des handicaps à vie.

Daniel Suda-Lang, directeur de Handicap International Suisse, rappelle le contexte général hautement complexe de l’aide humanitaire actuelle à Gaza, et souligne que cette aide ne doit pas oublier les personnes qui étaient déjà en situation de handicap avant la guerre, estimées à 21 % de la population à Gaza, selon OCHA. Des personnes incapables de fuir et privées des biens et soins essentiels à leur handicap tout comme aux civils blessés et par conséquent en situation de handicap.

Maria Marelli, spécialiste en physiothérapie chez Handicap International, témoigne de son expérience sur le terrain et de la chaîne fournie d’experts de la santé nécessaires à la prévention, au repérage, au traitement et à l’accompagnement des blessures invalidantes ou des handicaps déjà existants en situation de guerre.

Enfin, Nicholas Orr, démineur fort de 25 ans d’expérience dans le domaine du « Explosive Ordnance Disposal » (EOD) en Afghanistan, Irak, Kurdistan, Ukraine, Mali, Jordanie ou Koweït, instructeur dans l’armée britannique, partage son expertise technique sur les bombardements et les restes explosifs de guerre, leur impact sur la population locale, l’évaluation de la contamination et les difficultés attendues pour le déminage futur et le besoin en éducation aux risques que représentent ces armes non explosées.


DANIEL SUDA-LANG, DIRECTEUR DE HANDICAP INTERNATIONAL SUISSE : « UNE ANNÉE DE BOMBARDEMENTS CONTINUS À GAZA SE TRADUIT PAR UNE GÉNÉRATION SOUFFRANT DE BLESSURES, D’AMPUTATIONS ET DE HANDICAPS À VIE ! »

A quelques jours des 1 an du début du conflit actuel à Gaza, quelle est aux yeux de Handicap International la situation actuelle dans la bande de Gaza des personnes en situation de handicap ?

Une année de bombardements et de pilonnages continus à Gaza se traduit par une génération souffrant de blessures, d’amputations et de handicaps à vie. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, entre le 10 janvier et le 16 mai 2024, 25 % des personnes blessées à Gaza, soit environ 22’500 personnes sur 90’000, avaient besoin d’urgence de services de rééducation. Ce chiffre met en évidence l’énorme pression exercée sur les capacités de rééducation limitées de Gaza et le besoin crucial d’un soutien immédiat pour prévenir les handicaps à long terme dus à des blessures non traitées.

Ce conflit entraine de graves blessures, notamment la perte de membres, de lésions de la moelle épinière, des lésions cérébrales traumatiques et d’autres handicaps physiques dus à l’utilisation d’armes explosives. Les services de réadaptation appropriés, tels que les prothèses, la physiothérapie, l’ergothérapie et les aides à la mobilité sont très limités en raison de l’énorme demande et de la grande insécurité des acteurs opérant dans cette situation menaçante.

Les restrictions de mouvement et les barrages empêchent l’acheminement des fournitures médicales, de l’équipement et de l’expertise nécessaires à une réadaptation physique efficace. Il en résulte une détérioration de la santé et des capacités fonctionnelles des personnes touchées par le conflit, dont les blessures entraînent des complications sanitaires potentiellement mortelles, voire la mort dans certains cas, en raison de l’absence de soins médicaux et de rééducation appropriés.

En raison de l’effondrement du système médical de Gaza, la majorité des amputés ont encore des plaies ouvertes, des brûlures et des fractures non traitées, ainsi que des éclats d’obus dans le corps. Certains d’entre eux ont même des éclats d’obus dans la tête. Les plaies ouvertes et la peau gravement endommagée doivent être pansées pour éviter les infections.

À Gaza, la demande d’appareils d’assistance augmente avec les nouvelles blessures causées par l’escalade militaire. De nombreux appareils sont détruits ou laissés sur place lorsque les personnes handicapées doivent fuir vers des abris plus sûrs. Le manque d’entretien des appareils fonctionnels, l’indisponibilité des produits sur le marché local et les difficultés à se les procurer en dehors de Gaza affectent considérablement le rétablissement des personnes et entraînent des complications secondaires.

Les personnes handicapées déplacées sont confrontées à des difficultés considérables pour atteindre les abris ou les espaces sûrs lors des escalades de violence. La plupart des abris ne sont pas accessibles, manquant de rampes, d’installations sanitaires adaptées ou d’espace pour les appareils de mobilité tels que les fauteuils roulants. Les abris de Gaza, tels que les écoles ou les centres de fortune, sont surpeuplés, ce qui exacerbe les difficultés de mobilité des personnes handicapées et les rend plus vulnérables aux blessures ou à la négligence. Lors des déplacements, les familles peuvent être séparées, laissant les personnes handicapées sans soignants ni systèmes de soutien, ce qui complique encore leur accès aux services essentiels.

Pouvez-vous rappeler le contexte général hautement complexe de l’aide humanitaire actuelle à Gaza ?

Selon l’OCHA, les civils de Gaza subissent de plein fouet les opérations militaires. Au mois d’août, plus de 88 % de la bande de Gaza est restée sous le coup d’ordres d’évacuation. Des centaines de milliers de familles déplacées continuent d’être contraintes de se déplacer dans une zone d’environ 47 km2 (approximativement 13 % de la superficie totale de Gaza), qui est devenue surpeuplée et manque d’infrastructures et de services essentiels. Aperçu de l’accès humanitaire – Bande de Gaza | août 2024 | Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies – Territoire palestinien occupé (ochaopt.org).

Entre le 7 octobre 2023 et le 18 septembre 2024, au moins 41’272 Palestiniens ont été tués et 95’551 ont été blessés, selon le ministère de la santé à Gaza.

Les personnes déplacées risquent de l’être encore plus à l’approche de la saison des pluies, qui augmente les inondations et les marées hautes. De nombreuses personnes déplacées en raison des hostilités ont été forcées de s’abriter le long de la côte méditerranéenne, où les ordres d’évacuation émis par Israël leur ont demandé de se rendre.

Le ministère de la santé a indiqué que 70 % des médicaments et 83 % des fournitures médicales avaient été épuisés. Ce grave déficit a contraint les hôpitaux et les établissements de santé à suspendre leurs services et des procédures vitales telles que les opérations cardiaques, les cathétérismes cardiaques et les remplacements d’articulations.

Le nombre de camions entrant dans la bande de Gaza continue de diminuer. La moyenne journalière en août était de 69 camions par jour. Le gouvernement israélien continue d’imposer des restrictions strictes à l’acheminement de l’aide à Gaza. La complexité des procédures bureaucratiques et l’évolution des procédures opérationnelles normalisées font que les denrées alimentaires et les fournitures médicales arrivent à expiration avant d’être introduites. Les fournitures de Handicap International, telles que les kits médicaux et les colis alimentaires, sont restées si longtemps en attente aux postes frontières qu’elles ont expiré ou se sont détériorées, ce qui les rend inutilisables.

Handicap International est actuellement présente sur le terrain de Gaza. Comment ? Avec quels moyens ? Pour quelles activités ? Quelles sont les spécificités de son action ?

Nous employons actuellement (les chiffres datent d’août 2024) 70 personnes, et sommes soutenus par approximativement 300 agents communautaires. Nos efforts se concentrent à Khan Younis, à Gaza centre, et dans le sud de la bande de Gaza.

Distribution de matériel de besoins de base : nos équipes distribuent des biens de première nécessité : kits de soins, de cuisine, d’hygiène, couches et couvertures pour bébés. Atlas Logistique, la branche logistique de Handicap International gère un entrepôt mutualisé à Rafah pour les fournitures humanitaires des ONG depuis février 2024 et met en place un deuxième entrepôt mutualisé dans la région du Moyen-Orient

Aide d’urgence et réadaptation : nous prenons en charge les blessés graves et les personnes handicapées et leur fournissons du matériel de soin. Depuis octobre, 11’909 séances de soins infirmiers (pansement), 13’557 séances de physiothérapie et 4594 séances d’ergothérapie ont été organisées, et 2460 aides à la mobilité et 1239 kits pour bandages et pansements ont été fournis.

Soutien psychosocial : nos équipes proposent des séances de premiers secours psychologiques pour rassurer et soutenir les personnes impactées par ce conflit. Pour les enfants, les jeux sont particulièrement importants pour apaiser leurs angoisses. Nos équipes ont ainsi déjà organisé 807 activités récréatives, telles que des activités sportives, des sessions de chant et de danse, etc., pour plus de 108’492  personnes, dont une grande majorité d’enfants, dans 413 abris et camps

Education aux risques des restes explosifs de guerre : nous organisons des sessions qui informent et sensibilisent sur les dangers causés par la présence de restes d’explosifs. Plus de 8253 sessions de sensibilisation des communautés aux risques liés aux restes explosifs de guerre ont été organisées dans 973 camps, touchant plus de 180’261 enfants et adultes

Handicap International est présente depuis 1997 sur le terrain de Gaza. En 20 ans, comment le travail de Handicap International a-t-il évolué ? Quels défis nouveaux ? Quelle philosophie de travail différente ?

Au fil des ans, le travail de Handicap International à Gaza et en Cisjordanie s’est considérablement développé en réponse aux besoins humanitaires croissants causés par les escalades répétées de la violence, les blocus en cours et la détérioration des conditions socio-économiques. Le champ d’action de notre organisation s’est élargi pour inclure des programmes d’intervention d’urgence, la sensibilisation aux risques liés aux engins explosifs, la santé mentale et le soutien psychosocial, ainsi que la défense des droits des personnes handicapées. Cette évolution reflète un changement vers une approche plus holistique, intégrant une réponse d’urgence incluant les personnes handicapées et un soutien à long terme.

Handicap International intègre une vision globale du handicap dans son intervention d’urgence, en veillant à ce que les besoins des personnes handicapées soient pris en compte dans les services multidisciplinaires, ainsi que dans l’éducation et la protection. Cette approche reflète l’engagement de Handicap International à ne pas se contenter de répondre aux besoins immédiats, mais à s’attaquer aux obstacles systémiques qui empêchent les personnes handicapées de participer pleinement à la vie de la société.

Dans l’ensemble, Handicap International continue d’adapter ses stratégies à l’évolution de la situation à Gaza, en défendant les droits et les besoins des personnes handicapées dans le cadre du conflit en cours et en œuvrant pour une réponse humanitaire plus inclusive.

On ne parle pas des personnes qui étaient déjà en situation de handicap avant la guerre, estimées à 21 % de la population à Gaza, selon OCHA. C’est grave ?

La situation des personnes déjà handicapées avant la guerre à Gaza, estimée à 21 % de la population selon l’OCHA, s’est probablement aggravée de manière significative dans le cadre du conflit actuel. Ce chiffre, déjà alarmant, devrait augmenter, car les bombardements incessants continuent de provoquer de nouvelles blessures, amputations et handicaps.

Selon un récent rapport de l’OMS, environ 15’000 personnes ont subi des blessures aux extrémités, et l’on estime que 3000 à 4000 amputations sont à prévoir. En outre, on dénombre plus de 2000 cas de traumatismes crâniens et de lésions de la moelle épinière, ainsi que plus de 2000 brûlures graves.

La violence continue a probablement poussé le nombre de personnes handicapées bien au-delà des estimations d’avant-guerre. Avec des milliers d’autres blessés, dont beaucoup souffrent d’amputations, de brûlures graves, de lésions de la colonne vertébrale ou de la tête, la population des personnes handicapées à Gaza augmente rapidement. Cette augmentation met à rude épreuve les services de santé et de réadaptation, déjà débordés, qui peinent à répondre aux besoins urgents des personnes handicapées.

Heureux de revoir votre fameuse Broken Chair mise à neuf sur la place des Nations. Un symbole toujours utile et apprécié ?

Oui, heureux ! Les travaux de restauration ont eu lieu ce mois de juillet. Sa restauration était essentielle car le bois qui la compose, symbolisant la vulnérabilité des populations face aux armes explosives, se dégradait naturellement avec le temps.

Broken Chair est la porte-parole de notre organisation. Elle incarne le cri désespéré, mais digne, des populations civiles massacrées par toutes les formes de violence armée, ainsi que l’obligation pour les États de les protéger et de porter secours aux victimes. Installée pour interdire les mines antipersonnel, au fil du temps et de l’évolution du contexte international, nous avons étendu son combat contre les bombes à sous-munitions et les bombardements des civils en zones peuplées.

Une triste actualité puisqu’au moment de la restauration de Broken Chair, la Lituanie a décidé de se retirer de la Convention d’Oslo sur l’interdiction des armes à sous-munitions. Nous avons alerté à ce sujet, les arguments avancés par la Lituanie – que nous vivons une période exceptionnelle, que les armes à sous-munitions peuvent constituer une dissuasion efficace contre un ennemi potentiel et qu’elles ont une grande utilité militaire – sont irrecevables. Ces armes ont été interdites en raison de leurs conséquences humanitaires catastrophiques.

L’OMS a voté en 2023 une résolution historique engageant les pays à développer et renforcer les services de réadaptation dans leurs systèmes de santé. C’était important pour vous ? Qu’est-ce que cela va changer concrètement ?

Cette résolution que l’on défendait depuis de nombreuses années est très importante parce que la réadaptation nous concerne tous ! Cela vous est sans doute déjà arrivé de devoir faire appel à un professionnel de santé pour de la réadaptation après une blessure ou peut être avez-vous un proche en situation de handicap et qui a besoin d’un fauteuil roulant. La réadaptation comprend tout ce que l’on peut mettre en place pour faciliter, optimiser le quotidien des personnes, tout ce qui peut les rendre plus autonomes chez elles, avec leur famille, leurs amis, au travail, en somme dans la société. Imaginez la situation d’une personne blessée ou handicapée dans les pays les plus pauvres du monde, sans accès à ces services.

Dans un contexte mondial de conflits, de catastrophes, de vieillissement de la population et de réchauffement climatique, l’absence de réadaptation pour tous ceux qui en ont besoin est un grave problème de santé publique et une question de dignité humaine. Des millions de personnes développent des handicaps à long terme qui pourraient être évités, les empêchant de participer à la société. D’autres personnes ayant déjà un handicap voient leur état s’aggraver.

Cette résolution historique – le plus haut niveau d’engagement international – engagera pour la première fois les pays à développer et renforcer les services de réadaptation dans leurs systèmes de santé en réduisant notamment les barrières financières. L’accès aux aides techniques en fait partie (fauteuil roulant, canne, appareil auditif, prothèse, orthèse, etc.), au même titre que les autres services de réadaptation (physiothérapie, ergothérapie, orthophonie, etc.).

Partager cet article

Événements sur le même thème