Rencontre avec Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA
Rencontre avec Philippe Lazzarini, commissaire général de l’UNRWA
Le Club suisse de la presse vous invite à une rencontre avec :
- Philippe Lazzarini, Commissaire-général de l’UNRWA
Modération par Isabelle Falconnier, directrice du Club suisse de la presse, et Luisa Ballin, journaliste accréditée à l’ONU.
Accueil avec collation dès 11h45.
EXTRAITS DE LA CONFÉRENCE DU 21 AOÛT 2025

A propos de la Gaza Humanitarian Foundation
« Cette fameuse agence n’est pas une agence. C’est une société de mercenaires soutenue par les États-Unis et par Israël, qui a été mise en place pour se substituer à l’aide humanitaire de la communauté humanitaire en général, c’est-à-dire des Nations Unies et des ONG internationales. C’est une fondation qui est là pour soutenir un projet militaire et un projet politique, et non pour adresser l’ensemble des besoins humanitaires de la population. D’ailleurs, cette fondation ne se focalise que sur la distribution alimentaire. Elle ne s’occupe pas de santé ni d’aucun des autres aspects nécessaires pour maintenir la population en vie. Cette fondation est de plus un piège mortel pour des Gazaoui. Depuis sa mise en place, plus de 1’500 personnes affamées, désespérées, essayant de chercher de la nourriture ont été tués parce que ces centres de distribution se trouvent à proximité des positions militaires de l’armée israélienne. En plus, seuls 4 centres ont été mis en place alors qu’au moment du cessez-le-feu, l’UNWRA avait plus de 400 centres de distribution ! Cela signifie que l’on force une population déjà affaiblie à faire des kilomètres pour se rendre dans ces lieux hautement militarisés, que ce sont uniquement les jeunes hommes qui ont encore la capacité de marcher sous un soleil torride et de porter un carton de nourriture qui se rendent sur place, et que toutes les personnes vulnérables sont exclues de ce système de distribution. »
A propos des activités actuelles de l’UNWRA
« Une idée préconçue veut que l’UNWRA se serait plus en mesure d’opérer à Gaza ou en Cisjordanie depuis l’adoption de lois israélienne empêchant sa présence à Jérusalem, et empêchant tout contact avec les autorités israélienne. Or aujourd’hui, nous restons la principale agence à Gaza avec 12’000 employés. Il est vrai que nous ne sommes pas en position de distribuer de la nourriture, car aucun convoi n’est entré en tout cas pour nous le permettre ou à nos partenaires. Par contre, nos collègues sur place continuent de prodiguer des soins de santé primaires. Nous avons plus de 15’000 consultations chaque jour, nous continuons d’assurer la désalinisation de l’eau pour accéder à l’eau potable, la gestion des déchets pour tenter d’empêcher les maladies de se répandre. Et nous avons toujours dans le nord de Gaza plus de 100’000 personnes qui se trouvent dans des abris, des écoles qui appartiennent à l’ONU et pour lesquelles nous organisons la vie au quotidien. Une loi interdit désormais tout contact entre des officiels de l’ONU et des officiels du gouvernement israélien. Cela a eu pour impact qu’il n’y a plus d’employés internationaux parce que nous avons besoin d’une relation administrative pour avoir des visas. Mais nous maintenons nos écoles ouvertes en Cisjordanie, nos centres de santé en Cisjordanie et comme je l’avais dit, de continuer d’opérer tant bien que mal malgré tous les dangers dans la bande de gaza. »

A propos de l’avenir de l’UNWRA
« Avant octobre 2023, l’agence était déjà dans une crise financière existentielle. Depuis octobre 2023, il y a un objectif déclaré de l’Etat d’Israël de démanteler l’agence, en tout cas à Gaza et en Cisjordanie, un objectif soutenu par la nouvelle administration américaine. Leur objectif est de régler une fois pour toutes la question du statut des réfugiés palestiniens, et le problème politique épineux qui est la question du droit du retour. Mon message aux États membres de l’ONU est de dire, « Vous avez le choix ». Vous avez le choix, soit de laisser l’agence imploser, s’effondrer et si cela devait être le cas, non seulement cela va créer un vacuum à Gaza et en Cisjordanie, mais cela va aussi avoir un impact important dans les pays voisins, qui chacun d’entre eux ont leur propre fragilité, vulnérabilité, que ce soit en Jordanie, en Syrie ou au Liban. La seule alternative, ce sont des institutions publiques, des institutions palestiniennes. Nous essayons d’insérer cette discussion dans le cadre de l’initiative des Saoudiens et des Français, appelée la « Global alliance for the two states solution ». L’UNWRA est un plus, un « asset » pour toute trajectoire politique que vous allez décider pour le futur des institutions palestiniennes. L’UNWRA peut jouer un rôle extrêmement positif pour s’assurer que cette future autorité palestinienne puisse prendre en charge l’éducation, la santé primaire et les affaires sociales. »
A propos du budget de l’UNWRA
« L’UNWRA est en perpétuelle crise financière. La plupart du temps, je ne sais pas si à la fin du mois, nous serons en mesure ou non de payer les salaires. Nous dépendons complètement des contributions volontaires des États membres de l’ONU. Nous essayons de gérer notre cash flow sur la base des informations que nous transmettent les états au fur et à mesure. Aujourd’hui, 21 août 2025, je n’ai aucune visibilité au-delà de mi-octobre. Cette année est particulièrement importante puisque c’est une année de renouvellement du mandat de l’UNWRA. Ce renouvellement va se décider par l’assemblée générale entre le mois de septembre et le mois de novembre. Je pense que le mandat va être renouvelé, nous avons un très fort soutien des pays du Sud. Il sera intéressant de voir si le vote d’autres États membres change en raison de la géopolitique actuelle. »

A propos de la solution à deux Etats
« 145 états reconnaissent déjà un Etat palestinien. Encore peu d’états européens ou occidentaux, mais on a entendu au cours des derniers mois une volonté d’aller vers cette reconnaissance. Est-ce que cela va avoir lieu ou pas, je ne sais pas. Notre position a toujours été claire et nous soutenons une solution à deux états. Aucune véritable alternative n’a jamais été mise sur la table. Mais les opérations militaires d’Israël actuelles ont pour conséquences que nous n’avons jamais été plus éloignés de cette solution. »
Ses conseils aux journalistes et médias
« J’ai deux conseils. Le premier est de faire pression sur vos parlementaires, vos gouvernements pour qu’un accès soit donné aux journalistes. Les journalistes sont suffisamment bien placés pour coordonner à l’échelle européenne ou à l’échelle mondiale une telle demande. C’est la première chose. Vous devez avoir accès !
Deuxièmement, il y a des voix à Gaza. On a vu le travail absolument héroïque de la part de ces journalistes gazaouis qui, au risque de leur vie, de la vie de leur famille, sont déterminés à essayer de rapporter ce qu’ils voient, ce qui se passe autour d’eux. La question pour vous est de savoir si vous avez foi en les Nations Unies en le CICR, en les ONG telles MSF qui sont sur place ? Dans un conflit, quand on parle des organisations humanitaires, vous avez normalement 4 principes : l’impartialité, l’indépendance, la neutralité, l’humanité. Si vous pensez que ces organisations travaillent sur la base de ces 4 principes, il n’y a aucune raison de remettre en question leurs témoignages. Je ne pense pas qu’une armée partie prenante du conflit base son action sur ces mêmes principes. »

A propos de la Suisse et de la Genève internationale
« Il aurait dû y avoir une conférence des hautes parties contractantes des conventions de Genève sur demande de l’assemblée générale de l’ONU, conférence qui a été annulée à la dernière minute parce qu’il n’y avait pas de consensus sur le document final qui avait été soumis aux États membres. Je pense que la Suisse ne devrait pas s’arrêter là, et devrait reprendre une initiative, offrir ses services à l’assemblée générale de l’ONU et tout faire garantir le succès à l’avenir d’une telle conférence. Nous avons eu cette fierté pendant des décennies d’être la Genève humanitaire internationale, les dépositaires des conventions de Genève. Or ces conventions sont en danger d’être enterrées. Si cette Genève internationale veut retrouver sa splendeur dans ce domaine-là, son côté humaniste, nous avons besoin d’une mobilisation pour rendre ce même droit auquel on a cru jusqu’à aujourd’hui à nouveau. »
A propos de l’avenir de Philippe Lazzarini
« Mon mandat se termine à la fin du mois de mars 2026. Je serai dans ma 62e année. C’est un mandat de l’assemblée générale de l’ONU. Après deux mandats, je pense que cela suffit. Il n’y a aucune raison de le renouveler et je pense aussi qu’il peut y avoir une vie au-delà des Nations Unies. A partir de là, quel type de vie ? Je ne sais pas, on verra. »

Le Club suisse de la presse ouvre sa rentrée d’automne 2025 en recevant Philippe Lazzarini. Dans quel état d’esprit le commissaire général de l’UNRWA, dans la tourmente depuis deux ans, aborde-t-il la rentrée ? Comment voit-il la distribution d’aide humanitaire actuelle à Gaza ? Désormais interdite d’accès à Gaza et dans les territoires occupés par le gouvernement israélien, comment l’agence peut-elle encore venir en aide aux réfugiés palestiniens au Liban, en Jordanie et en Syrie ? Comment l’ONU peut-elle redevenir un acteur à Gaza ?
L’agence, née Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, créée en 1949 pour fournir des services aux réfugiés dans les domaines de l’éducation, la santé et l’assainissement, a vu ses budgets diminuer drastiquement et fait face à une situation financière extrêmement tendue. Quelles seraient les conséquences d’un effondrement de l’agence d’aide aux réfugiés palestiniens ?
La Suisse, après des débats houleux au Parlement, a alloué ce printemps 10 millions de francs à l’UNRWA, une somme similaire à celle de l’année précédente, ainsi que 1 million de francs pour renforcer l’agence et mettre en œuvre des recommandations issues du rapport Colonna, visant à améliorer sa gouvernance. La Suisse peut-elle faire davantage ?
Philippe Lazzarini, né à La Chaux-de-Fonds en 1964, est à la tête de l’UNRWA depuis 2020 après trente ans de carrière dans les domaines de l’aide humanitaire et de la coordination internationale dans les zones de conflit et d’après conflit aux Nations Unies, au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et dans le secteur privé. Quels sont à ce jours ses espoirs et ses objectifs pour l’UNRWA ?
LA RENCONTRE AVEC PHILIPPE LAZZARINI EST PRÉCÉDÉE À 10H30 DE LA PROJECTION DU FILM DOCUMENTAIRE « UNRWA, 75 ANS D’UNE HISTOIRE PROVISOIRE » DE LYANA SALEH ET NICOLAS WADIMOFF.
